La Zone d’Intérêt : espace de questionnement [HS]

Bizarrement, même si j’ai cru comprendre qu’il y avait des histoires de branchement neuronal, depuis ma sortie de salle, je n’ai retenu (je ne dirais pas vu car je ne le pense pas) que des critiques négatives à l’égard du film La Zone d’Intérêt de Jonathan Glatzer. Personnages creux, vides, ennui, drame bourgeois, insultant envers la Shoah, platitude de la réalisation sont entre autres éléments que j’ai conservé en tête. Alors, pourquoi ces critiques me perturbent-elles, par moment plus encore que le film que j’ai vu ?

Pour celles et ceux qui ne l’ont pas vu, La Zone d’Intérêt est un film sur la famille Höss, notamment Rudolf et Hedwig Höss, le mari étant le commandant (Obersturmbannführer est le terme exact) qui a principalement gérer le camp d’Auschwitz. Le réalisateur a pris le parti de ne jamais montrer l’intérieur du camp, de se concentrer uniquement sur ces deux personnes (et quelques peu les enfants). Le cadre posé, je vais maintenant essayer de décortiquer des plans et séquences du film en espérant mieux comprendre pourquoi les arguments à l’encontre de celui-ci m’agitent tant. Je tiens à préciser aux éventuels lectrices et lecteurs que je vais grandement divulgâcher cette réalisation (le scénario étant simplissime : le quotidien de la famille Höss). Il est plus que probable que cet article soit un fouillis indescriptible. Et je vais essayer de sourcer un tant soit peu ce que je raconte en espérant ne pas dire trop de bêtises, ni d’être irrespectueux envers ce pan de l’histoire humaine et ses victimes. Introspection en cours.

Le Paradis, l’Eden

Le tout premier truc qui m’a sauté au visage, c’est à quel point la maison, et surtout le jardin de la villa a quelque chose de profondément paradisiaque. J’ai vu la bande-annonce de La Zone d’Intérêt avant un autre film (Poor Creatures qui est tout aussi riche) et au départ, j’étais quelque peu ennuyé par ce que l’on me présentait. On suit le personnage d’Hedwig Höss, campé par Sandra Hüller, qui présente son jardin en y donnant chaque nom de fleurs et de plantes qu’elle y cultive. « Du chou-rave, les enfants adorent » je crois me souvenir. Et c’est là que l’ami avec lequel je suis se penche à mon oreille et me dit « Höss, c’est le commandant d’Auschwitz ». Je me souviens d’être aussitôt sorti de ma torpeur, de m’être redressé, d’avoir d’un coup prêté plus attention à ce qui se déroulait sous mes yeux. Parce que ce n’était pas un énième film chiant (navré pour la vulgarité, il va y en avoir tout au long de ces paragraphes) sur une famille lambda, ça devient soudain un film qui parle de celui, entouré par sa femme et ses enfants, qui dirigeait le camp d’extermination dont le nom demeure gravé dans les pages de l’histoire.

Cette sensation d’avoir un paradis sous les yeux, elle m’a rarement quitté pendant que je regardais le film, environ une semaine après. Le gazon vert, les fleurs colorés, la piscine, l’entièreté du jardin de Hedwig Höss a un parfum d’Eden . Et de ce que j’ai pu récolter de mes recherches postérieures, le film a quelque chose de rigoureusement exact : l’un des petits enfants d’Hedwig donnera des photos de la villa lorsqu’elle fut occupée par la famille Höss pendant la guerre, et le jardin y est effectivement idyllique. Un grand mur gris cache l’horreur du camp et bien qu’il y a déjà des vignes et des glycines dessus, le personnage attend impatiemment qu’elles aient tout recouvert.

Au-delà du jardin clos de la villa Höss, le paradis s’étend aussi. De ce que j’ai pu voir et et comprendre dans le film, le camp d’Auschwitz est entouré de forêts, d’herbes, d’une rivière. La Zone d’Intérêt a pour deuxième séquence un pique-nique en bord de lac. C’est une nature sauvage, bucolique que le réalisateur nous présente et dans laquelle évolue les personnages : comme dit précédemment pique-nique, mais aussi baignade, canotage, pêche (promenade ?)… Je m’aventure probablement loin, mais entre le jardin de la villa et la nature alentour, j’ai eu plusieurs fois des réminiscences de Bosch et du Jardin des Délices, notamment le panneau central de ce triptyque qui présente tout une foule de personnages qui s’amusent, jouent, s’ébattent au milieu d’une nature extraordinaire, entre autres, pour le rapprocher du film, d’une végétation luxuriante, débordantes de fleurs et de fruits.

Un autre élément du film qui m’a marqué, c’est la récurrence du blanc, que ce soit dans les draps étendus sur les cordes à linges qui flottent aux vents, ou dans l’habillement des personnages (peut-être pas tous blancs, mais très pâle ou tirant vers le blanc). Bien que cette couleur puisse avoir une connotation angélique dans certains contextes, je pense plutôt qu’il s’agit ici d’un choix stratégique. Jonathan Glatzer opte pour le blanc comme une couleur de la neutralité, un autre aspect important de son film. En choisissant spécifiquement ces tons, dans un premier temps, il ne se pose pas en juge et dans un second temps, il offre aux spectateurs des espaces de pensées à conquérir. Il ne nous indique pas une voie toute tracée mais nous pousse à projeter nos sentiments/émotions/jugements sur la famille Höss.

Parler du paradis, c’est aussi parler de l’enfer. Et là, j’en reviens à Bosch au travers de la scène de la mère d’Hedwig. Celle-ci séjourne chez sa fille et découvre le camp sans jamais y entrer, au travers des cheminées des fours crématoires qui se dressent en fond de paysage, crachant d’épaisses fumées noires (fumées qui la font tousser à de nombreuses reprises). Dans le passage dont je veux parler, cette mère s’éveille en pleine nuit, dans une chambre rouge orange. Elle se dirige vers la fenêtre et observe un long moment les cheminées qui crachent littéralement du feu par leurs bouches. Pour celles et ceux qui connaissent l’œuvre de Bosch, ses peintures de l’enfer sont particulièrement frappante, de part les flammes qui rougeoient et illuminent ses arrière-fonds. Par ces images, on passe d’un espace paradisiaque à celui infernal d’Auschwitz qui rejaillit plus fort encore dans la nuit.

Cependant, relevons que toute la beauté du jardin d’Hedwig Höss existe parce qu’ils usent de la cendre des personnes tuées à Auschwitz comme engrais.

L’horreur dans la banalité

Jonathan Glatzer réussit un coup parfait en nous noyant dans une banalité quasiment extraordinaire alors que nous savons être à côté de l’une des formes d’horreur absolue. Constamment, les exactions nazis rejaillissent dans des détours inattendus. Je vais tenter de rapidement en lister quelques uns ici.

Je crois que le moment anecdotique qui m’a le plus glacé, c’est l’expression « la reine d’Auschwitz ». Le personnage de Sandra Hüller, après avoir longuement présenté son jardin à sa mère, s’installe sous une pergola avec cette dernière et lâche, en badinant, qu’une de ses amies la surnomme donc « la reine d’Auschwitz ». Rien que de l’écrire me met très mal à l’aise. C’est extrêmement fort, puissant, ça arrive abruptement, dans une conversation familière et derrière cette expression, le spectateur actuel, qui connaît l’histoire, ne peut que penser aux milliers de morts portés par ce nom.

C’est l’une des grandes force du film, me semble-t-il, nous balancer (passez-moi l’expression) des horreurs à chaque virage. Déjà, par les conversations. Il y a donc l’expression citée au-dessus, mais auparavant, toujours lors de cette promenade-visite du jardin, les deux femmes se réjouissent d’une de leurs connaissances juive qui se trouvent peut-être en ce moment-même dans le camp d’extermination. Dans une autre scène, un groupe plaisante de l’ingéniosité du peuple Juifs car l’une d’elles a trouvé un diamant caché dans un tube de dentifrice. Alors, elles s’extasient et la concernée a pris de nombreuses autres tubes « au cas où ». Plus proche du début du film, nous assistons à un rendez-vous professionnel entre Rudolf Höss et des entrepreneurs costumes-cravates-attachés-case qui discutent d’un nouveau dispositif de four pour augmenter la cadence de crémation. Les propos sont factuels, dénués de tout sentiment, les plans étalés sur une table basse. La chaleur se transmet de chambres en chambres au fur et à mesure, et, après de un certain temps, la température tombe à 30 ou 40°C (j’ai un doute) et les agents peuvent entrer pour balayer la cendre. Höss se montre intéressé, pose des questions. C’est banal, on pourrait dire quotidien (c’est comme ça que j’imagine les réunions des hautes industries) et pourtant, non, c’est une fois de plus l’horreur dans une banalité tout aussi ahurissante que terrible. Je suis face à des personnes qui discutent de techniques pour se débarrasser d’indisvidus qu’ils ont tué industriellement.

Il y a aussi le « show don’t tell ». Pour celles et ceux qui ne sont pas familier du terme, il s’agit de tout simplement montrer plutôt que dire. Le cinéma étant avant tout composé d’images mouvantes, un « bon » réalisateur préfèrera montrer plutôt que de faire dire ou raconter par ses personnages ou une voix off certaines informations. Dans une nouvelle séquence mémorable (vous allez me dire que primo je radote, deuxio je ne parle que de séquence mémorable), la caméra suit Hedwig Höss qui longe par l’extérieur le mur du camp d’Auschwitz pour rejoindre son mari sur un ponton. Pour recontextualiser, il y a un instant, le personnage de Christian Friedel (il joue Rudolf Höss) a annoncé à celui de Sandra Hüller qu’il va être muté et qu’ils vont devoir quitter la villa. S’ensuit donc une scène où Sandra Hüller défend son espace de vie, ce qui va aboutir à cet instant dingue où elle pointe dans la direction du camp d’extermination tout en clamant qu' »Ici c’est chez [eux] ». Hors, les derniers plans montrait Auschwitz. Donc, lorsqu’elle pointe son foyer, ce n’est pas la villa qui est indiqué mais, du fait de ces derniers plans, le camp lui-même.

Je poursuis mes allers-retours et revient au début du film. Ici, Hedwig Höss a reçu un colis de vêtements. Je n’ai pas de suite compris qu’il s’agit des affaires des prisonniers qui lui était remises. Une fois ceci percuté, la séquence suivante et d’autant plus glaçante que le spectateur fait face à une femme qui s’apprête : elle essaye et se pare d’une fourrure devant un miroir, observant évidemment comment le manteau tombe sur elle ; et finit par trouver dans une poche un rouge à lèvre. Nouvelle scène, la voici maintenant devant sa coiffeuse, se maquillant de ce fameux rouge à lèvre. En fond sonore, cri et coup de feu, confrontation du plus anodin et du plus terrifiant.

Dernière séquence, celle de la partie de pêche. Non loin de deux de ses enfants qui jouent sur la berge, Rudolf Höss pêche au milieu de la rivière lorsque quelque chose vient le gêner. Au départ, j’ai pensé à une algue, un caillou, et puis, nous le voyons sortir ce que je crois reconnaître comme une mâchoire. La panique le saisit, ils appellent ces enfants et les ramènent dans leur villa où ils passent tous aux bains, se frottant vigoureusement et longtemps, par peur de contamination, de mort. Toujours montrer le quotidien, l’anodin, le banal, en baigner constamment les spectateurs et au milieu de ce quelconque, faire surgir l’épouvantable horreur du camp d’extermination.

Les personnages

Je l’ai écrit lors de ma pseudo-introduction, l’un des arguments redondant en défaveur du film est l’absence de personnalisation des protagonistes. Selon ces avis, les personnages de Sandra Hüller et de Christian Friedel sont vides, creux, pas de psychologie. Sans surprise pour aucun des lecteurs ni aucune des lectrices, je suis plutôt en désaccord avec eux.

Commençons par Hedwig Höss. C’est une femme hautaine, fière, amoureuse de son mari, proche de ses enfants. Regardons cela à travers le prisme du film.

Dans les premières séquences du film, nous assistons à l’anniversaire du commandant d’Auschwitz. Après que l’un de ses enfants l’ait conduit jusqu’au jardin, Rudolf Höss découvre son épouse et ses enfants qui l’attendent derrière un kayak et lui souhaitent donc « Viel Geburtstag zum Glück » (je vous demande pardon pour les fautes, mes derniers cours d’Allemand remonte à plus de dix ans). Plus tard, nous verrons le couple face à face dans leurs lits, Hedwig Höss demandant à son époux de l’emmener à nouveau en vacances en Italie, dans un centre thermal je crois, se remémorant ensemble leurs précédents séjours, plaisantant à propos d’un autre vacancier et riant ensemble en faisant des grouinements. Lors de leurs disputes sur le ponton que j’ai précédemment mentionné, j’ai ressenti, et c’est peut-être totalement subjectif, un puissant attachement entre les deux personnages. Il me semble alors logique de dire que nous sommes face à une femme amoureuse.

Pour ce qui est de sa fierté, elle se ressent tout entière dans la séquence de la présentation du jardin à sa mère, que j’ai déjà décrit à plusieurs reprises. Cela peut sembler très simple, suivre Sandra Hüller qui traverse sa propriété en désignant les noms de fleurs, de légumes, en montrant la piscine (avec toboggan), la serre qu’elle a fait installé, tout comme la pergola, les vignes et autres plantes grimpantes dont elle attend la floraison, mais cette insistance sur chaque détail (elle a aussi fait élever le toit de la maison, ajoutant un étage sous comble ce qui signifie que lors de l’installation de la famille la villa avait un toit plat si je comprends bien) montre déjà bien sa fierté. C’est elle qui a fait tout ça, organisé tout ça (elle a aussi fait installer le chauffage centrale), construit cet Eden (pour rappeler mes premiers paragraphes). S’ensuit la fin de la conversation où sa mère la félicite car elle s’est élevé bien plus haut qu’elle ne l’avait imaginé et espéré pour sa fille. L’acmé étant « La Reine d’Auschwitz ». Dois-je souligner le mot « Reine » ? La joie, l’orgueil, le contentement qu’elle a prononcé ce terme ? Hedwig Höss est fière de ce qu’elle a orchestré, elle correspond au modèle de la femme allemande promue par le régime nazie.

Quant à son caractère hautain, il transparait dans les séquences avec le chien et avec la bonne mais surtout, une fois encore selon mon propre regard subjectif, dans la scène de départ de la mère. Celle-ci, après la nuit où elle a pu contempler les cheminées du four crématoire dégorgeant de flammes s’est enfuie de la maison en ne laissant qu’un mot plié sur le coin de la table d’entrée. Évidemment, le personnage de Sandra Hüller tombera dessus, le lira, et bien que nous spectateur n’en connaissions jamais le contenu, il me semble aisé à deviner du fait de la séquence précédente. La mère n’a pas supporté le camp de la mort, son ambiance infernale et a potentiellement ouvert les yeux sur ce qu’il en était et sur ce à quoi participait sa fille (elle-même aussi). Comment celle-ci réagit ? Avec une colère froide, jetant le papier dans le feu d’un poêle, réclamant à ce que la bonne retire le couvert de sa mère (et pourquoi même ne l’a-t-elle pas déjà fait ? Veut-elle vexer Hedwig Höss ? Elle pourrait très bien la jeter dans un four crématoire [ce sont plus ou moins les propos que tient Sandra Hüller à sa servante dans mon souvenir])

En ce qui concerne Rudolf Höss, c’est un officier zélé, ordonné, respecté par ses supérieurs, lui aussi proche de sa femme et de ses enfants.

Je vais éviter de rappeler la séquence vu avec Hedwig Höss et tenter de me concentrer sur d’autres. Parmi les plus intéressantes, il me semble que celles du ponton et celle du dîner de départ sont particulièrement parlante. En effet, lors de ce entretien sur le ponton, le commandant Höss après la tirade de sa femme lui annonce, plutôt surpris (à mes yeux), qu’il s’étonne car il pensait que celle-ci l’aurai suivi partout en fonction des mutations décidées par sa hiérarchie. Pour lui, c’était une certitude. Peu après, nous assistons à ce que j’ai donc nommé le dîner de départ. Le personnage de Christian Friedel insiste auprès de ses enfants qu’il sera moins visible dans leurs foyers pendant un certain temps, qu’il sera absent lors de leurs anniversaires, cherchant à s’assurer qu’ils ont bien assimiler ce que signifie cette mutation/promotion. L’anniversaire, la pêche, la remembrance des souvenirs, le dîner plaide, à mon avis (qui ne doit pas être si humble vu que je compose un tel texte) pour le père et le mari aimant.

Et, certes, on peut m’opposer l’épisode de la prostituée (et là, je me vois en cours de littérature, avec cette manière de parer les contre-arguments) mais il ne s’agit que de sexe, pas de sentiments. Rudolf Höss couche peut-être ailleurs, il n’en aime pas moins sa femme de ce que je crois que m’indique le film.

Pour les qualificatifs de zélé, ordonné, respecté de sa hiérarchie, les scènes sont nombreuses qui l’appuie. De celles de l’amélioration des fours crématoires aux nombreuses lettres de ses supérieurs pour tenter de maintenir le commandant à son poste à la tête d’Auschwitz, qui vante son mérite, ses qualités de gestionnaires, son adhésion à la doctrine nazi (je crois) ou encore celle de sa femme qui l’incite à écrire directement au Führer [à mon sens, cela démontre son importance mais également sa puissance, un « si bon » officier qu’il pourrait se permettre de contacter directement Adolf Hitler (ce qu’il ne fera pas)], le film a pléthore d’indices pour révéler ses « qualités ». L’une d’elle, une fois de plus (radotage blabla) glaçante par son insipidité. Le personnage de Christian Friedel dicte une lettre au téléphone pour rappeler aux gardiens du camp de ne pas arracher les lilas qu’il a fait planter dans Auschwitz afin de rendre les lieux plus agréables. Il y précise également les punitions qu’encours les dissidents. Rigueur et ordre. Également, nouvel référence au paradis et à l’enfer.

Promptement, je tiens à évoquer aussi un autre moment où il est au téléphone avec sa femme et lui parle d’à quel point il était accaparé par la question de comment gazer toute la salle de bal, dont les plafonds sont trop haut. Preuve d’un fanatisme absolu pour la tache qui lui a été confié.

Donc, tous ces développements pour quoi ? Ma petite personne ne peut pas considérer les protagonistes comme étant non défini ou sans psychologie. Lors d’un échange, j’ai cru comprendre que mon interlocuteur aurait voulu savoir ce que ça leur fait de participer à la Shoah, de vivre à la fois à côté et avec. Et je reconnais que c’est une excellente problématique. Alors j’ai cherché (vaguement, je ne suis pas un grand chercheur, j’ai jamais aimé cherché pendant des heures), et il me semble qu’il y a pas mal d’informations sur Rudolf Höss. Déjà, j’ai appris qu’il a rédigé ses mémoires, intitulés en français Le commandant d’Auschwitz parle. Je le dis de suite, je ne l’ai pas lu, même si je compte un jour le lire parce qu’il me semble que c’est un témoignage important. Des résumés que j’ai consulté, il parle très factuellement de ses actes, ne regrette pas les crimes commis et adhèrera jusqu’à la fin aux thèses nazies. Par sa fiche Wikipédia, il est indiqué que les psychologues qui l’ont interrogé ont estimé qu’il n’avait aucun trouble ni pathologie et que c’était un individu lambda.

Autour d’Hedwig, je n’ai quasiment rien trouvé, si ce n’est une vague ligne où son petit-fils, celui qui a donné les photos du jardin et de la vie à la villa Höss, évoque une femme tyrannique. Enfin, sur les enfants, que j’ai volontairement laissé de côté tout comme le film semble le faire, rien. (Et je reconnais me poser ici la question de l’innocence de l’enfance : comme ce sont les adultes qui les éduquent [et leurs propres expériences] doit-on les voir comme également coupable et participant aux crimes de leurs parents ? Qu’en a-t-il été de leurs vies après la chute du régime nazi ? Mais là, je m’égare vraiment)

En outre, j’ai lu l’interview d’un historien qui revenait sur le film et affirmait que La Zone d’Intérêt relatait exactement le point de vue de la recherche historique sur cette période (je suis navré, je fais tout de tête et aux souvenirs, donc, il y a forcément une marche entre ce que je raconte et la réalité d’où la bibliographie en fin d’article). Une question lui est posée sur la dernière scène du film où l’on voit Rudolf Höss pris de nausées. L’historien répond en disant qu’humainement l’industrie de la mort est très difficilement supportable et enchaîne en expliquant comment le nazisme avait cloisonné chaque étape de la mort pour diluer le sentiment de culpabilité : un homme ouvrait le compartiment, un autre déposait le gaz, le troisième ouvrait la bouteille, le dernier refermait la trappe.

Me voici donc revenu à Hannah Arendt et la « banalité du mal »

L’ennui et le nazisme

Depuis le début, pour celles et ceux qui ont vu le film (une majorité, j’espère) , j’ai délibérément tu l’un des aspects les plus importants de ce dernier: sa bande-son. La Zone d’Intérêt s’ouvre sur un écran noir, un très long écran noir où il n’y a que du son. Je ne sais combien de temps cela dure. Je n’ai retenu aucun de ces bruits parce que je ne parvenais tout bonnement pas à identifier quoi que ce soit. Ajoutons que j’étais dérouté par un film qui débute par un écran noir qui se maintient aussi « longtemps ». Et le film se terminera de la même manière. Mais tout est là. C’est une note d’intention visible et limpide de Jonathan Glatzer. Nous ne verrons rien. Nous entendrons (écouterons ?) tout.

Une fois la séquence du pique-nique terminé (deuxième séquence du film après l’écran noir), nous sommes dans la villa Höss. Je ne me souviens pas d’avoir perçu à l’oreille quelque chose de particulier. Le spectateur observe juste une maison dont les fenêtres vont s’éteindre une à une. C’est le lendemain avec la séquence d’anniversaire que je prends vraiment conscience de l’arrière-fond sonore. Et encore, pas tout de suite. Je m’explique : pendant un long moment, je crois entendre des trains, qui freinent, roulent, s’arrêtent, etc. Ce ne sera que lorsque j’entendrai clairement un sifflet et les crachats de vapeur que je vais saisir que ce que j’entendais n’étaient pas les locomotives et des wagons, mais les fours crématoires en action. C’était un bruit que je n’avais jamais entendu (et je crois avoir compris que les équipes du film ont du faire des recherches pour trouver quel bruit cela faisait en fonctionnant).

C’est effrayant comme son, non pas parce qu’il est inhabituel, particulier, rappellerai une peur instinctive. C’est effrayant parce que ça m’a paru à la fois très léger et d’une banalité inqualifiable. Comme les grondements d’un orage, d’une voie rapide ultra fréquentée par les voitures ou les ronronnements d’une usine, toujours au loin, dans l’arrière-pays, perceptible qu’à l’oreille attentive. Ça a quelque chose du bercement que l’on peut très vite oublier, notre ouïe sélectionnant ainsi une fréquence à ne pas écouter. Et, sur ce coup, je remercie Écran Large qui en a parlé lors de sa vidéo et m’a maintenu en alerte sur cet aspect du film.

Pourquoi ce détour par la bande-son ? Parce que je ne peux m’empêcher de lier la possibilité de s’habituer aux sons des fours crématoires et celles de la banalité de cette famille Höss « lambda ». Plusieurs fois durant le film, j’ai pensé que je pouvais comprendre que des gens ne puissent s’ennuyer devant. En toute sincérité, il a en effet un aspect assommant. Je veux dire, et j’espère sincèrement ne pas blesser qui que ce soit, ni être injurieux, oui, on s’en fout de vivre le quotidien de la famille Höss, leurs anniversaires, leurs fêtes, les plantations du jardin, les commérages sur leurs vies. Et pourtant, non. C’est la famille qui a dirigé le camp d’Auschwitz. Ce ne sont plus n’importe qui.

Je pense, peut-être complètement à tort, peut-être en faisant un contre-sens magistral, que c’est une véritable intention de Jonathan Glatzer. Et c’est là qu’il faut faire le parallèle avec la bande-son : tout comme il ne faut surtout pas s’habituer aux cris, aux coups de feu, à la musique, aux gémissement, aux locomotives et par dessus-tout aux fours crématoires, il ne faut pas sombrer dans l’ennui. Le réalisateur veut un public attentif, actif, volontaire et se contenter de voir le film sans le regarder, de l’entendre sans l’écouter, s’ennuyer devant, c’est sombrer comme la famille Höss, dans une normalité, un ordinaire qui s’accommode du pire.

Bien sûr, ce n’est pas la figure stylistique (et je ne suis même pas sûr qu’on puisse parler de ça) la plus évidente. Cette banalité du quotidien qui inonde le film est la plus facile à appréhender, construite pour que l’on s’identifie aux personnages tout en les rejetant violemment. Et, malheureusement, sur moi, ça a fonctionné par deux fois. La première, lors de la visite du jardin et spécifiquement lors de l’anecdote de la connaissance juive peut-être à Auschwitz. Pourquoi ? Certainement parce que je viens de Moselle, que j’ai de la famille qui parle le Platt Lorrain, qu’il y a un truc qu’on nomme « Café Klatsch » dans la région (qui consiste à se réunir autour du café pour partager les potins très bêtement). J’ai eu cette sensation de presque voir ma propre famille à l’écran, lors de nos réunions, où ma mère montrait aussi son potager à mon grand-père en le lui décrivant, le tout dans ce patois lorrain qui ressemble furieusement à de l’allemand. La seconde fois, lors de la scène du ponton, où j’ai sincèrement eu mal au cœur pour ce couple, enserré entre le désir d’avoir un foyer fixe et de s’élever dans la hiérarchie. Les deux fois, je m’en suis terriblement voulu. La Zone d’Intérêt parle de Rudolf Höss, le commandant du camp d’Auschwitz, ce n’est pas n’importe qui, c’est un des agents de l’industrie de la mort. Et, c’est là qu’Hannah Arendt entre en scène avec sa banalité du mal. Rudolf Höss, Hedwig Höss, ce sont des êtres humains les plus « plats » qui peuvent exister. Ils ont perpétrés des horreurs, nous les condamnons lourdement, mais ce ne sont pas des montres, ce sont des humains, c’est nous.

Et là, j’essaie de renouer avec cette notion d’ennui dont je parlais plutôt. Si tel est l’intention du réalisateur, de nous « dévoiler » un quotidien lambda, chiant pour le dire crûment, quelque chose que nous vivons tous, alors, il est de notre devoir de ne pas nous ennuyer devant ce film, de nous rappeler constamment de qui on parle, d’où on se trouve, de ce qui se déroule en arrière-fond. Et je parle bien de nous, spectateurs, pro-actifs, qui en conscience réfléchissons et agissons devant le film, devant ces images pour garder à l’esprit tout le temps que nous faisons face à la famille du commandant d’Auschwitz. Bien entendu, comme je l’ai écrit dans mes paragraphes sur l’horreur dans la banalité, Jonathan Glatzer nous aide quelque fois, avec, encore une fois, cette expression « La Reine d’Auschwitz » par exemple. Mais la majorité du temps, c’est à nous-même de nous faire un devoir de nous remémorer face à qui nous sommes, face à quoi nous sommes. Car, sombrer dans l’ennui, c’est manquer de vigilance et quelque part sombrer dans le nazisme.

Encore trois points : les pommes, la fin, l’esthétisme

Un motif récurrent dans La Zone d’Intérêt porte sur des séquences en couleurs inversés où l’on suit une petite fille planter des pommes dans des fosses/ tas de terre/amas de cendre (?). Je suis encore dubitatif devant car je suis très peu certain d’avoir compris la signification de ces passages. Je suppose, avec l’inversion des couleurs, le fait que cela se déroule de nuit, en cachette, que ce sont des moments qui s’opposent à la vision idyllique du jardin de la famille Höss. Un anti-Eden ou un véritable Eden en devenir ? Il y aurait opposition à l’enclos des Höss car dans ce premier cas, il y a un effacement des personnes humaines tandis qu’avec ses pommes, il y aurait une notion de souvenir, une pomme par condamné, un arbre par mort. J’ai aussi pensé à la notion de tribut pour le passage des morts. Comme lorsque l’on mettait une pièce dans la bouche des personnes décédés pour qu’elles puissent payer leurs passages à Charon. J’ignore s’il y a quelque chose d’approchant dans la religion hébraïque. Même si je ne sais vraiment que penser, j’avais envie de vous évoquer ces images.

La fin, quant à elle, m’a quelque peu explosé à la gueule (pour parler vulgairement). Très rapidement : la caméra suit Rudolf Höss qui descend les escaliers d’un building qui semble infini de part ses fonds noirs, les couloirs et les escaliers s’étendant jusqu’à se fondre dedans. À presque chaque pallier, le personnage de Christian Friedel vomit. Il parvient à l’un de ses couloirs infinis et bien qu’il regarde le spectateur, nous nous doutons qu’il fixe quelque chose que nous ne voyons pas encore à l’écran. Il s’agit d’une porte avec un hublot. Celle-ci va s’ouvrir et nous faire découvrir l’intérieur d’une chambre à gaz ou d’un four crématoire, je n’ai pas réussi à le déterminer. Nous verrons ainsi des professionnels s’affairer à nettoyer et prendre soin des espaces, balayant les sols, époussetant les fours, puis d’autres nettoyant des vitres pleines de chaussures et autres effets personnels des individus assassinés par les nazis.

Les premières secondes, j’ai été tétanisé par ce qui se déroulait sur l’écran. J’ai de suite fait le rapprochement avec les premières minutes du film, précisément avec la séquence où des représentants exposent à Rudolf Höss les plans d’un nouveau type de four crématoire, dont l’une des innovations permet aux employés de gagner du temps pour passer le balai de ce qui reste à l’intérieur. J’ai trouvé ce raccourci cruel, violent, monstrueux. Et puis, comme la séquence ce prolonge, mon cerveau travaille et je comprends ce que tente de me dire le réalisateur : alors que les nazis étaient dans une entreprise de destruction, d’éradication pur et simple de la surface de la Terre d’un peuple, je faisais face à des personnes qui s’acharnaient à l’opposé. Leurs travails consistent à préserver la mémoire, à l’entretenir. Ici, ce n’est pas des cendres humaines qu’on emploie pour cultiver un jardin pseudo paradisiaque, c’est la poussière qu’on chasse pour ne pas oublier notre passé, le conserver vivant pour ne pas le reproduire. C’est un hommage aux victimes de notre cruauté, nous ne les effaçons plus, nous en prenons soin, respectueusement.

Échec de la politique nazi. Peut-être aussi échec de Rudolf Höss qui ne demeurera dans l’histoire « que » comme le commandant d’Auschwitz.

Potentiellement aussi, une nouvelle demande du réalisateur d’être proactif devant son film, de créer nous-même les liens, de nous remémorer encore et toujours face à qui et à quoi nous sommes.

De ces deux petits points (j’y crois), j’en tire un troisième qui me vient aussi d’Écran Large que je remercie une fois de plus. L’esthétisme donc. Je reviens à mes échanges avec mon entourage, j’ai cru comprendre (mais comme d’habitude, entre ce qu’on me dit et ce que je comprends etc, il y a une marche) que la « platitude » de la réalisation desservait aussi La Zone d’Intérêt. Beaucoup de plans fixes, où le spectateur est contraint de suivre une brouette tout du long de son chemin ou une servante avec un verre qu’elle emplit et apporte. Outre le fait que sa participe à la banalisation du film et donc de ce que j’estime être un ennui qui nous force à être vigilant, je reprends très vaguement les propos d’Écran Large qui cite les Cahiers du Cinéma. Dans un film, je ne me rappelle plus lequel, le réalisateur a fait un zoom sur le cadavre d’une femme suspendu aux barbelés du camp de concentration. Ce mouvement de caméra qui semble simple à déchaîner les passions de ce que j’ai compris et dans les Cahiers du Cinéma, un article virulent est paru et a ainsi questionné la manière de montrer la Shoah. Problème extrêmement complexe. Le cinéma étant un art tout à l’intérieur est signifiant, un choix comme un non-choix, le jeu d’acteur, le décor, les vêtements, l’angle de la caméra, le focus, la construction des plans, l’enchaînement des scènes, des séquences, etc, vous avez compris l’idée. Alors, face à ce drame qu’est la Shoah, que peut-on se permettre ? N’y a-t-il pas un risque d’esthétisation de la mort, de positiver l’un des plus ténébreux moments de l’histoire humaine ou de tomber dans un pathétique grandiloquent par exemple ? Au final , n’y a-t-il pas un risque d’être mal compris du public, voire carrément qu’il y ait un contre-sens ?

Je retire mes traits jusqu’à ma partie sur l’ennui et le nazisme. À mes yeux de profanes, il est évident que Jonathan Glatzer par sa mise en scène avec des plans fixes, longs, aspire à une forme de neutralité. Cette forme d’impartialité du réalisateur existe car il ne veut pas de mélodramatisme, de pitié ou de déshumanisation, de monstruosité. Encore une fois, je me répète (comme si le même argument redit trente-six fois était meilleur) cette objectivité est omniprésente car c’est à nous, spectateurs de La Zone d’Intérêt de l’investir proactivement, avec conscience, vigilance.

Conclusion : Mon Humanité ?

Au final, j’ai tenté, avec plus ou moins de réussite, d’analyser stylistiquement le film. Mais, après tout ça, qu’en est-il de ma question d’introduction.

Pourquoi ces critiques me perturbent-elles, par moment plus encore que le film que j’ai vu ?

Lors d’une des premières discussions que j’ai autour du film, voilà ce que j’ai dit et ce qu’on m’a répondu :

« – T’as de la chance de les avoir détesté. Perso, je n’ai pas arrêté de me dire qu’ils étaient comme moi ou comme des gens autour de moi. Ce quotidien pousse à une forme d’identification et tu as beau te répéter que si tu étais à cette époque, tu n’aurais jamais participé à ça, en fait, la question est beaucoup plus complexe et tu n’en sais rien.
– Alors, c’est marrant. C’est super prétentieux, mais j’ai jamais compris ce truc que tout le monde dit comme quoi « Tu sais pas si t’aurais pas été collabo à l’époque. » J’ai vraiment l’impression que je ne peux pas. Genre, même au boulot, tu me dis de faire un truc que je n’accepte pas, je ne peux pas le faire. Je pense même que c’est dangereux de dire ça. »

Et je crois que je tiens ma réponse. Si ces critiques autour du film me perturbe autant, c’est parce qu’elles remettent (bien involontairement de la part de mes interlocuteurs) en question ma propre humanité. La réaction la plus sensé en sortant de la salle n’est-il pas d’avoir détesté le film, de cracher dessus, de démontrer à quel point il est mauvais et passe à côté de son sujet ? D’avoir une réaction de dégoût profond et total pour cette famille, notamment Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz et Hedwig Höss, reine d’Auschwitz ?

Or, moi, qu’ai-je fait ? J’ai pris et intellectualisé tout ce film, je l’ai décortiqué, analysé, réfléchi, chercher des éléments factuels et objectifs auxquels m’attacher, sur lesquels bâtir un argumentaire, une démonstration. Au point de peut-être à mon tour annihiler d’autres points de vues mais aussi, une fois encore peut-être, les victimes de la Shoah. Agir plus ou moins aussi rationnellement, froidement et logiquement que les nazis pour comprendre La Zone d’Intérêt et les avis qu’elles suscitent alors que peut-être la bonne réponse/réaction est un rejet pur et simple d’une abomination qui nous place trop loin de notre humanité pour à la fois ne pas oublier et ne pas perpétrer à nouveau un tel massacre.

L’autre point intéressant de cette petite partie de notre longue discussion, c’est également le rejet pur, simple, massif et total par mon ami de l’idéologie et de l’action de l’idéologie, quand moi-même je me pose sincèrement la question du côté de la ligne où je me trouverai si j’avais vécu la Seconde Guerre Mondiale.

Pourtant, dans ce cas aussi, j’ai déjà la réponse.

Sans m’étendre, je travaille dans l’administration (déjà qu’est-ce que je fous là, je me le demande tout le temps). En toute sincérité, je connais très peu les règlements, textes de lois, etc, j’y comprends peu voire rien, et toujours en toute honnêteté (j’essaie promis), je n’ai pas envie de comprendre parce que je trouve ça profondément chiant, triste et vain. Alors, j’applique ce qu’on me dit de faire. Bêtement. Sans comprendre. Sans savoir. Sans raison. Au téléphone, l’une de mes réponses récurrentes c’est « Je ne sais pas, c’est la loi, c’est comme ça, ce n’est pas moi qui fait la loi, je l’applique. »

Régulièrement, habitant la région parisienne, je croise des personnes sans domicile, des qui travaillent sans joindre les deux bouts, des migrants, toute une foule de laissé-pour-compte, qui demandent une pièce, un ticket restaurant, de quoi manger. Et, toujours, je dis non, je baisse la tête, j’ignore.

Il y a des manifestations pro-Palestine, contre la loi immigration, contre la réforme des retraites, les mouvements de grèves des professeurs, des personnels hospitaliers, etc. Je ne participe à rien. Il y a des appels au boycott pour des marques qui exploitent les Ouïghours, les entreprises qui poursuivent leurs commerces avec la Russie ou Israël, les industries polluantes (oui, il est possible que si vous lisiez cet article très tardivement toutes ces évènements ne soient plus d’actualités). Est-ce que je les connais et m’active ? Si peu.

Tout ça peut sembler très loin de La Zone d’Intérêt et pourtant : le nazisme n’a-t-il pas exploiter les êtres humains qu’il ne considérait pas comme tel jusqu’à en faire des engrais, du savon ? Le morceau d’os que rencontre Rudolf Höss dans la rivière n’est-elle pas une forme de pollution (sans vouloir vexer qui que ce soit) ? Les désirs d’Hedwig Höss ne résonnent-ils pas avec la société de consommation : qu’importe l’alter ego, ce qui compte c’est mon intérêt, me nourrir, me vêtir, me loger et avoir de jolis objets ? La Zone d’Intérêt ne parle pas uniquement du passé, elle parle également de maintenant.

Ainsi, à la question sur le côté de la ligne où je me trouverais si j’avais vécu lors des années 39-45, j’ai ma réponse. Ne me reste plus qu’une seule question.

Où est mon humanité ?

Bibliographie :

https://www.youtube.com/watch?v=m6cz6xTgkIY
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Zone_d%27int%C3%A9r%C3%AAt
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rudolf_H%C3%B6ss
https://www.youtube.com/watch?v=gL2Bq_vT7zM
https://www.troiscouleurs.fr/article/interview-johann-chapoutot–la-zone-d-interet
https://www.parismatch.com/Actu/International/Brigitte-Hoess-Mon-pere-etait-le-bourreau-d-Auschwitz-534608
https://www.lefigaro.fr/cinema/rainer-hoss-a-propos-de-sa-grand-mere-personnage-du-film-la-zone-d-interet-hedwig-etait-une-femme-dominatrice-dure-maniaque-20240130
https://www.google.fr/maps/place/camp+d’extermination+de+Birkenau/@50.0378441,19.1712661,980m/data=!3m2!1e3!4b1!4m6!3m5!1s0x47169585b5872e05:0xf380c2159aa1d6a7!8m2!3d50.0378407!4d19.173841!16s%2Fg%2F121jcf5m?entry=ttu
https://www.fnac.com/a1608888/Rudolf-Hoess-Le-commandant-d-Auschwitz-parle#omnsearchpos=1
https://www.fnac.com/a108187/Hannah-Arendt-Eichmann-a-Jerusalem#omnsearchpos=4

Merci à Maël, François, Maxime, Xavier, Fabrice, Cyril, Nicolas pour les discussions et les points de vues que vous m’avez donné sur le film.

Albus&Gellert

Avant de vous proposer ce texte, je tiens à préciser plusieurs éléments. Comme certaines et certains l’ont deviné dès le titre, il s’agit d’un récit tiré des Animaux Fantastiques 3 Les Secrets de Dumbledore. Je n’ai donc pas créé ces personnages, ni inventé la scène que je vous présente ici. Étant plutôt objectivement déçu par ce que donne à voir cette nouvelle saga dans le Monde des Sorciers, je me suis autorisé de réécrire quelques moments du films pour y ajouter des propos de ma mythologie et tenter d’y apporter un peu plus de profondeur (sans forcément y parvenir). Vous constaterez rapidement qu’il y a, au final, dans ce premier plagiat, extrêmement peu de différences avec ce que vous connaissez du film original pour ceux et celles qui l’ont vu. J’ai surtout étoffé les dialogues dans le cas présent. Sur ce, une bonne lecture à vous !

Chuintement de l’eau chaude. Vapeur. Grelottement de la porcelaine. L’incolore qui se rétractait, contré par de fluides rubans ambrés s’y épanchant. Légers, deux talons larges flottèrent par-dessus la moquette, étouffèrent leurs clameurs, se faufilèrent entre les pieds des chaises et s’interrompirent délicatement, leurs pointes disparaissant sous la table. En gestes rapides et précis, la serveuse établit sur la nappe, face au client, soucoupes et tasses, sucrier, crémier, cuillère, puis, le plateau terni retenu par ses bras clairs, demande :

« Vous désirez autre chose ?’

Le crâne couvert de cheveux châtains tirant sur le roux se haussa, l’homme releva son regard de ses genoux, un mince sourire sur son visage subtilement strié de rides. Un souffle, il s’élança.

« Merci. Je… »

Sa voix chevrote, ses yeux bleu diamant s’accroche à l’anse blanche. Il déglutit discrètement, sourit aimablement.

« J’attends quelqu’un. Peut-être un second thé. Merci. »

La serveuse acquiesça et s’éloigna de ce même pas affirmée. Aussitôt, Albus saisit un sucre, le plongea dans sa boisson, son couvert tinta pendant qu’il remuait et une pâle lueur émanant de sous lui ourla son menton, sa barbe captant cette clarté. Ses paupières se fermèrent, il perçut le tumulte de la salle, les nœuds de voix fortes, les clapotis de la vaisselle, les chuintements des vêtements. Et, au-delà, le son sourd de semelles qui s’approchait de sa table, assuré. Lorsqu’à nouveau ses iris se parèrent d’étincelles, ils plongèrent dans ceux, vairons, d’un homme debout devant lui, aux vêtements parfaitement ajustés, sa mèche blanchie courant de son front à son oreille gauche. Sur ses lèvres naquit un sourire que l’autre lui rendit immédiatement. Mais, quelques secondes après, il écarta ses pupilles et examina le lieu, son expression se refermant, avant de retrouver celles de son hôte.

« Tu as tes habitudes ici ?

– Je n’ai mes habitudes nulle part. »

Un soupir amusé échappa à Gellert. Il s’installa sur la banquette et fixa l’homme de l’autre côté. Leur silence se prolongea, sans gêne aucune, interrompu par l’apparition de la serveuse qui déposa une seconde tasse, Gellert s’écartant d’elle. Libérée de sa présence, il s’inclina par-dessus les volutes, ne détachant pas son regard du céruléen cristallin d’Albus.

« Montre-le moi. »

Empli par le calme, Albus soulève son bras gauche, l’étend par-dessus la nappe blanche jusqu’au centre du plateau et déplie lentement ses doigts, dévoilant au creux de sa paume un bijou en argent, un octaèdre ciselé d’arabesque, son cœur enchâssant une bulle de cristal iridescente, l’une de ses extrémités achevé sur une pointe effilée, l’autre rattachée à une fine chaîne qui s’entortillait autour de son poignet et rampa sur son avant-bras. Le globe les baigna d’un halo laiteux.

Grindelwald lâcha un soupir, de joie et de mélancolie, sa main esquissant un geste vers le pendentif, mais il se redressa.

« Parfois, je ressens encore son poids autour de mon cou. Je l’ai porté tant d’années. Comment te sens-tu avec ? »

Le visage impassible, Albus ne répondit pas ; Gellert réitéra sa question d’un simple battement de paupières.

« Nous pouvons nous en délivrer, Gellert. »

Il souffle, jette un œil alentour, finit par revenir à Albus. Tant d’émotions coulent rapidement dans ses saphirs translucides.

« Il fut un temps, nous avions beaucoup plus en commun que cette magie. »

Avec dédain, il désigna l’objet brillant, tenu par Dumbledore, entre eux. Conscient de l’impasse, celui-ci le rangea dans sa poche

« Ce que tu fais est de la folie…

– C’est notre plan.

– J’étais jeune, j’étais…

– Engagé. Envers moi. Envers nous.

– Non. »

Gellert infléchit imperceptiblement sa tête.

« Je t’ai suivi parce… »

Temps

« Parce que ?

– Parce que j’étais amoureux de toi. »

Un long moment, en silence, ils se dévisagèrent. Albus détourna son visage.

« Ce temps n’est pas si éloigné, Albus. »

Un éclat bleu s’opposa au gris mate.

« Je n’ignore pas tes actes. »

Gellert inspira profondément, expira, enfin, huma.

« Quelle odeur infecte. Ne trouves-tu pas ? As-tu réellement l’intention d’abandonner les tiens pour ces animaux ? »

Albus demeura muet. Son invité fixa avec hauteurs les personnes qui les côtoyaient. Nonchalamment, son vairon immobile face au visage barbu, il poursuivit.

« Sais-tu, Albus, comment considèrent les Moldus des individus tels que nous ? Ils nous qualifient de malades, de déviants, de contre-nature. Ils nous enferment, nous exposent à des jets d’eaux glacés, nous injectent des solutions, nous électrocutent, nous castrent. Pour nous soigner. Pour que nous ne les contaminions pas. Ils nous tuent. »

Un silence lourd tombe, rempli par les babillages du salon. Une fois de plus, Gellert porte son attention sur leurs voisins.

« Ils sont si stupides, menés par leurs peurs. »

Il se reporte sur Albus.

« Tu disais vouloir transformer le monde, que nous en avions le droit. »

Dumbledore frémit.

« Je vais en fonder un nouveau, avec ou sans toi. Mais tu ne peux rien faire pour m’en empêcher. Déguste bien ton thé, Albus. »

En un instant, il fut debout, son thé intact, et se dirigea au travers de la salle vers la porte, son long manteau noir palpitant contre l’arrière de ses genoux, le regard d’Albus dans son dos, ne s’évanouissant qu’après qu’il se soit égaré dans la rue. Seulement là, les yeux de Dumbledore glissèrent jusqu’au Pacte de Sang posé dans sa main installée sur ses genoux, scintillant avec tranquillité et douceur.

Lorsqu’il revint à lui, ses doigts quittèrent son visage, le contact de la chaîne tiède avec sa joue rompu ; assis sur une chaise en chintz, il redécouvrit les pierres courbes de son bureau, parcourues par les chatoiements du feu de cheminée et la lumière blafarde de cette après-midi nuageuse qui filtrait par les fenêtres.

Havre

Près de son oreille, un soupir, exaspéré, frémit. Ses paupière papillonnent, vite, vue floue, et s’abaissent, closes, resserrés, les coins de ses yeux auréolés de ridules. Subitement, s’ouvre l’œil, pailleté. L’environnement le gifle, pleine conscience des abords. Motos qui crépitent, scooters qui vrombissent, voitures qui klaxonnent, vélos qui sonnent, feux qui bondissent du rouge au vert au orange au rouge au vert. Autour, des piétons s’écartent, soufflent, s’agacent, le contournent, mécontents, jetant des regards hargneux. Un coup lourd et puissant contre son épaule le bouscule, quelqu’un force le passage, aucune excuse, une ligne à maintenir. Il ressent sa main, doigts crispés sur son téléphone, écrasé contre son oreille droite. Il l’en détache, frémissant, et, bientôt, une vague de chaleur en irradie, mêlée de désagréables picotements. Tête baissée, l’écran noir fait face. Calme un temps, l’air commence à se précipiter en tout sens ; dans des sifflements, il inspire et expire bruyamment ; sa poitrine est douloureuse. Il cesse de respirer.

Continuer à lire … « Havre »

Salinité

L’air salin lui emplit les poumons, sature son odorat, et se dissipe. Il s’est assis ; le parfum de la côte a disparu depuis des heures, mais son agitation l’a ravivé. Bas de pantalon remonté, il retire ses chaussures, enlève ses chaussettes, range les unes dans son sac à dos, les autres dans une poche latérales. Relevé, pendant un bref moment, il fixe l’horizon qui bleuit hâtivement, un ensemble resserré de blocs sombres seul accrochant son regard. À quelques centimètres, l’eau est troublé de ridules, une insensible brise qui affleure sur son visage les dessinant. L’heure est splendide, parfaite, personne ne s’approchera des rivages, maintenant, moins encore qu’en plein jour. Le bandeau à lampe frontale qui pend mollement à sa main se place au-dessus de ses yeux, lui, saisit la lourde torche électrique attachée à sa ceinture. Alors, il pose son pied droit dans l’eau.

Continuer à lire … « Salinité »

Maxime

Nuque courbée, de ses minces doigts, il extrait la pochette papier du carton, puis, d’une pincée, retire le disque noire. Son regard parcourt le vinyle, veille sur l’état des crêtes et des sillons, en caresse la surface par son souffle léger, chassant la poussière. En deux pas, il se dresse au-dessus de la platine, en soulève le couvercle transparent, y dépose le cercle sombre et étend le bras jusqu’à poser l’aiguille dessus. Aussitôt, cordes, cuivres et piano s’envolent des hautes enceintes, alors qu’il chute, nonchalamment dans le canapé, tissus aériens frémissant autour de lui. Sous ses cheveux charbons, raides et piquants, ses immenses yeux bruns chaleureux, bienveillant, s’allument et brillent plus intensément lorsque la mélodie le frôle et l’embrasse. La musique l’emporte, sa tête dodeline, sa bouche remue, infimes sourires sur ses lèvres invisibles qui chuchotent les paroles de sa voix, tout à la fois modulée et suave. Un instant, sa main s’égare dans sa barbe drue, glissant entre son menton et sa joue, le rose nacré de sa peau scintillant devant le duvet ébène. Soudain, vif, il se relève, son kimono jaune et bleu orné virevoltant autour de son corps, magnifique ligne déliée marqués d’infinitésimales courbes exquises, et s’évanouit dans la chambre. Face à ses bibliothèques, étagères débordantes d’albums musicaux, de romans, de beaux-livres, avec une joie calme qui se répand , il dévoile des dizaines de pages illustrées d’images brillantes, des centaines de compositions aux styles divers, des milliers de mots enrichissant et poétiques. Et, à nouveau, ses yeux extraordinaires, ce profond regard, ses iris marrons, brûlant, réconfortant, enjoués. Toute sa beauté éclatant, résumé, dans ce merveilleux brun.

GLORIA

Au bas de ses talons effilés, Gloria dépose le chalumeau, puis, doigts après doigts retire et jette une paire épaisse de gants beige touchant au brun clair. D’abord une main qui se presse dans ses cheveux flamboyant pour les ébouriffer, et, ses chaussures qui claquent sur l’asphalte, se répercute contre les façades ensommeillées, heure tardive, elle se dirige vers l’arrière de la voiture pourpre au nez longiligne. Prestement, le coffre se déverrouille, s’ouvre dans un soupir ; elle s’empare de deux larges grappins à quatre pointes, les rapporte auprès des distributeurs, les insère dans leurs bouches, les accroche, teste de petits coups secs leurs résistances et s’en retourne au véhicule, ramassant outil et protection, qu’elle fourgue négligemment derrière le siège conducteur. Un regard dans le rétroviseur gauche, la clef tourne, le moteur démarre, enroué, halant d’une toux rauque qui se transforme en un rugissement mécanique poursuivit d’un grondement retentissant. Semelle plaquée sur l’accélérateur, l’automobile se précipite, les cordes se tendent, arrête la machine ronflante dans un soubresaut abrupt, répercuté jusqu’à la nuque de Gloria.

Continuer à lire … « GLORIA »

Le Parvis

« Pardon ! »

L’épaisse semelle de ses hautes chaussures ocre frappe le trottoir et s’élance vers son prochain pas, jetant des bruits sourds dans la rue, démunie de la plupart de ses résidents, dimanche humide. Xavier court, s’excuse rapidement, dépasse une dame âgée, manteau kaki, foulard violet, une capuche plastique collée contre ses cheveux, un homme enrobé, moustache et bonnet noirs, veste beige, une fille, longue chevelure mauve et cyan, lourd casque dévorant ses oreilles, répète ses excuses et bondit à l’angle vers la droite. Les feuilles des platanes papillotent, le bitume humide geint sous ses talons, les bourrasques sifflent à ses oreilles, attiédissant ses rougeurs. Dans sa tête, sa voix ne cesse de lui demander comment il peut être en retard, et il conserve le silence, traçant son itinéraire, attentif aux rues qu’il franchit. Sur une plaque d’aluminium constellé d’ellipse en relief, son pied dérape, il chancelle, bras écartés, tendus, mains qui se débattent en des cercles déformés et, après un instant, rattrape son équilibre. Barré de voitures, le passage clouté bloqué, il patiente, appuyé sur ses genoux, haletant, dès la naissance d’une possibilité, se faufile. Les vitrines des boutiques, les fenêtres des appartements reflètent son parcours tourmenté, les immeubles de calcaire jaunie impassible.

La gare s’impose à l’extrémité du boulevard, ses demi-rosaces emplies de nuages aux nuanciers acier, trois taxis qui patientent au-dessous des pétales des marquises. Essoufflé, Xavier passe les murets surmontés de grilles pointues, débarque entre les colonnes, soudain affligé, ignorant où chercher. Dirigé vers l’entrée aux multiples portes, à la périphérie de son œil, une valise rouge, petite, l’attire. À coté, droit, visage focalisé au-delà des barreaux, rêveur, Pierre attend. Aucune hésitation, Xavier se précipite, ses larges enjambées en un appel. Un quart de tour sur la gauche, Pierre s’illumine, ses bras s’étendent et accueille Xavier qui s’y jette. Son parfum emplit ses poumons, ses paumes rugueuse enlace son cou, sa peau chaude touché par la sienne froide, des baisers couvrent ses cheveux, son front, ses joues, son nez, sa bouche,, noyant leurs manques dans cette intense étreinte, inséparables, debout sur le parvis.

Le Parquet Doré

Ouverts, les battants s’écartent, un crissement s’égare dans la calme atmosphère de la pièce. Celui de droite s’agite, remue, prononce des notes grêles et achève son oscillation sur sa première position. Derrière les vitres , entre les montants, l’azur vif s’épanouit, striés de rares brindilles déployant de minuscules feuilles aux verts fragiles, ballottés par le vent réservé. Au bas de la fenêtre, après une douce pénombre trapézoïdale, le soleil s’étend sur le plancher, allongé en larges triangles et losanges flamboyants, empreint des ombres spiralitiques de l’allège et qui tiédissent le parquet doré, une pointe jaune saisissant la cheville de Maxime. Jambe gauche pliée, jambe droite alanguie, à même le sol, une manette entre les mains, il regarde l’écran exposant une jungle qui, hasardeusement, dévoile des ruines virtuelles. Au-dessus de lui, Sébastien, étendu sur le canapé anthracite, lit, de temps à autres, les yeux attirés par la télévision. À ces instants, il scrute le jeu auquel s’amuse Maxime, l’interroge sur un détail qu’il remarque, l’action qu’il exécute, l’histoire. Lors de longs silences des enceintes, il délaisse son ouvrage, posé nonchalamment à côté de sa cuisse, examine l’image, suggère des solutions à Maxime. Lui répond, au plus souvent en monosyllabe, impassible, happé par l’aventure. Les bruits numériques, les pages qui se tournent, la voix tranquille de Sébastien, la fenêtre qui grince, les branchages qui frémissent.

« – Tu sais quoi ?
– Non, vas-y.
– Je t’aime. »

Maxime se détourne subitement. Sébastien, les yeux qui chatoie, caressant son visage, offre un sourire de malice et de joie. Maxime le voit, splendide. Son cou l’attire ; il y dépose ses lèvres, un baiser pianissimo, sa peau fraîche. Clos, il contemple Sébastien, les paupières scellés, un sourire pleins de délices dressé sur sa bouche. Puis, les mains de retour à la manette, il s’affaire à avancer son personnage. Les doigts de Sébastien, alors, s’enfonce dans sa chevelure, s’y propage, aérien, câlin, merveilleux. Sa tête s’abandonne contre l’assise, dégustant ce contact.

Quatorze heures quarante-trois

Un baiser emprunté sur ses lèvres entrouvertes, puis des pas étouffés par le tapis moelleux , sourds sur le parquet, froid de la nuit passée. Soudain, une lumière blanche se déverse dans le couloir, divisant ses jambes à hauteur de mollets, illumine la salle de bain bleue, le carrelage empli d’éclats pâles. S’approchant du miroir qui couvre le mur, le robinet chuinte, Dean, les mains en coupe, recueille l’eau, frissonnant lorsqu’il se frictionne le visage, chassant les traces de sommeil. Sec, il s’empare du rasoir et corrige le dessin de sa barbe. Les lumières jaunes fixées au-dessus de la glace teinte sa peau d’un rose soutenu. Derrière lui, l’air de l’appartement vibre du bourdonnement de la petite machine.

Continuer à lire … « Quatorze heures quarante-trois »

Gaël

Larges iris d’un bras chaleureux, cheveux noirs relevés en vague douce caressant son front bombé , visage d’une rayonnante candeur, un jeune homme au corps fin s’échine. Tête recourbée, menton piqué de barbe effleurant le col de son tee-shirt noir, concentré sur son téléphone, ses doigts posés sur l’écran, beauté des arcures, en un instant le message est parti, sa joie se partage avec ses collègues. Regard marron pétillant, recommencement, même attitude, appliquée sur une enceinte, mains serrées sur les câbles, habileté des gestes, un moment après, les basses s’échappent retenues, test de son, et lui esquisse quelques mouvements. Paupières mi-closes, bras par dessus la tête, peau rosé et pilosité tourbillonnante, fin de travail, il vit la musique qui transperce son corps, admire les personnes profitant de la scène, de son apport, minuscule engrenages parmi tant d’autres provoquant la machine jusqu’à aboutissement, ces heures de bonheur, de Techno vibrantes. Petit être, immense conséquence.